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Quand Molière veut s'imposer sur les chantiers

  • Pauline Bluteau
  • 26 mars 2017
  • 4 min de lecture

La semaine de la francophonie touche à sa fin aujourd'hui et pourtant, la langue de Molière n'a pas fini de faire parler d'elle. Depuis plusieurs semaines, gauche et droite, français et européens, travailleurs et avocats n'ont presque qu'un mot en tête « la clause Molière ».

Pourquoi Jean-Baptiste Poquelin serait encore impliqué dans une affaire en 2017 ? Tartuffe, Dom Juan et Monsieur Jourdain n'ont qu'à bien se tenir, la langue française a encore de beaux jours devant elle, trop peut-être. Pourtant, tout semblait si mal parti... La mondialisation et la construction européenne ont mis de côté la langue française, au profit de celle de Shakespeare. Et les français ont beau être de vrais chauvins, cette fois, ils n'ont rien pu faire. En 2017, la revanche a sonné, surtout sur les chantiers.


Depuis un mois, « la clause Molière » inquiète autant qu'elle dérange. Elle vise à imposer aux entreprises de BTP d'avoir des ouvriers maîtrisant le français pour répondre au marché public. Ce dispositif est loin d'être nouveau. Plusieurs départements LR (Charente, Nord, Vendée, Haut-Rhin, Corrèze) l'ont déjà instauré depuis plus d'un an, pour le meilleur et pour le pire. Rien d'inquiétant en apparence jusqu'à ce que les régions s'intéressent également à cette clause. C'est le cas de l'Île-de-France, des Hauts-de-France, de l'Auvergne-Rhône-Alpes, des Pays-de-la-Loire, de la Normandie (UDI) et du Centre-Val-de-Loire (PS). Une propagation éclaire qui a fait monter au créneau la gauche. Le ministère de l'économie et des finances dénonce « une mesure raciste, discriminatoire et inapplicable », Benoît Hamon de son côté affirme que cette clause est « pitoyable » et « xénophobe ».


Sécurité ou protectionnisme ?


Si officiellement la clause Molière met l'accent sur la bonne compréhension des consignes et des règles de sécurité, officieusement, elle est perçue comme une lutte contre le recours aux travailleurs détachés et aux salariés étrangers. Pour ceux qui l'attaquent, c'est donc un prétexte à la préférence nationale et pour ceux qui la défendent, c'est une simple question de sécurité. Le maire-adjoint LR d'Angoulême, Vincent You, a indiqué que « les chantiers sont risqués. Il y a, plus qu'ailleurs, besoin de cohésion d'équipe et de confiance mutuelle... Ne pas l'accepter n'est rien d'autre qu'un mépris profond pour les ouvriers et les professionnels du BTP ». Sur ce point, la ministre du travail, Myriam El Khomri a tenu à rappeler que « la loi travail rend obligatoire la traduction des consignes dans les langues des chantiers sur place », justement pour éviter tout problème d'insécurité.


Bruxelles à la rescousse


Mais la gauche n'est pas la seule à voir rouge. A Bruxelles, le mécontentement se fait aussi sentir. La député européenne Elisabeth Morin-chartier (LR) n'a pas hésité à affirmer qu'« il est illusoire de penser que nous réglerons les problématiques de l'emploi en nous repliant sur nous-même. (…) Cette clause va à l'encontre de tous nos engagements européens (…) comme la liberté de circulation des citoyens et des travailleurs ». En effet, la question de l'illégalité de cette clause est aussi un enjeu majeur. Plusieurs lois vont d'ores et déjà à l'encontre de la clause : la loi « Justice 21 » de 2016 établit qu'une personne ne doit subir aucune discrimination au regard de « sa capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français ». Au niveau du droit européen et du droit international, la loi va dans le même sens : « est interdite, toute discrimination fondée sur la langue », cela concerne aussi les salariés.


Pour les défenseurs de la clause Molière, la loi n'est qu'un prétexte. Le but est avant tout de lutter contre la concurrence étrangère et les entreprises qui cassent leurs prix. Là encore, Vincent You s'indigne : « Pourquoi défendre le « Made in France » si c'est pour qu'il soit empêché de servir l'emploi local ? » et comment « produire local, mais sans travailleurs locaux ? ». D'après l'adjoint au maire charentais, « c'est un bras de fer politique qui mérite d'être mené ».


Lutter contre les travailleurs étrangers, la solution ?


Et le bras de fer ne fait que commencer. En pleine course à l'élection présidentielle, les candidats ne mâchent pas leurs mots. Dans son programme, Marine Le Pen indique qu'elle souhaite « instaurer un vrai patriotisme économique en se libérant des contraintes européennes et en réservant la commande publique aux entreprises françaises ». Il faut aussi « supprimer la directive « détachement des travailleurs », qui crée une concurrence déloyale inadmissible. » Pour Emmanuel Macron, la question des travailleurs détachés fait aussi partie des sujets importants : « se battre contre les abus liés au travail détaché et redéfinir au niveau européen les règles du détachement pour mettre fin à toutes formes de concurrence sociale déloyale. »


En attendant, pour les principaux concernés, le problème n'est pas là. L'année dernière, la direction générale du travail a estimé qu'il y avait 286 025 travailleurs détachés en France en 2015, ce qui représente 1% de la population active. Mais d'après la député européenne LR, « cette clause est avant tout un danger pour les travailleurs détachés français qui sont presque 200 000 à l'étranger ». Comment feraient-ils si l'Angleterre imposait une clause Shakespeare ?

Pour François Asselin, président de la confédération des petites et moyennes entreprises et ancien vice-président de la fédération française du bâtiment « la vraie solution, ce serait de faire en sorte que la concurrence reste loyale ».

Une chose est sûre, Molière peut être tranquille, la langue française est loin d'être abattue.


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